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Conférence, Séminaire / Recherche
Le 11 février 2019
Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire
Séminaire du thème transversal "Création culturelle et territoires" de l'ILCEA4.
« Que vuelvan a cantar aquel soneto »[1] : que devient la poésie quand on la chante ? Conférence de Séverine Delahaye-Grélois (UPEC/ IMAGER)
La chanson entretient avec la poésie des rapports complexes de proximité, de déni et d’envie. En effet, alors qu’une certaine critique voit dans la chanson un art bien distinct de la poésie et, souvent, mineur, les frontières entre les deux domaines sont poreuses. Quelques exemples suffiront à montrer la complexité des interpénétrations entre les deux domaines. Ainsi, Paco Ibáñez, dont le style musical pousserait à le classer parmi les cantautores, n’est que le compositeur de ses chansons et a choisi la plupart de ses textes chez des auteurs classés comme poètes et non comme paroliers (Alberti, Lorca, Góngora, Quevedo, Celaya…). Pablo Neruda a collaboré avec de nombreux compositeurs de chansons (Ángel Parra, Sergio Ortega pour Quilapayún…) pour leur fournir des textes et ces chansons ont largement contribué au rayonnement de son œuvre autant qu’à la diffusion d’un discours politique. Enfin, malgré leur grande qualité, les textes de Silvio Rodríguez font trop rarement l’objet d’analyses littéraires parce qu’ils sont considérés comme des chansons, alors qu’on peut arguer qu’ils ont eu plus d’impact sur la création littéraire ultérieure que beaucoup de poètes plus confidentiels. Bien que de nombreuses chansons présentent un méta-discours qui les désigne comme « poème » ou désigne leur auteur comme « poète », ces désignations ne sont pas prises au sérieux, pas plus que les références au chant dans les « poèmes », pour des raisons qui tiennent autant à la sociologie qu’à l’idéologie. À l’inverse, l’emploi de textes classés comme « poèmes » relève souvent d’un choix militant chez des chanteurs fortement engagés, qui conçoivent leur choix comme une forme de redistribution du capital culturel de la bourgeoisie visant à rendre accessibles au plus grand nombre des textes classiques réinsérés dans un discours politique contemporain.
Que faut-il donc pour qu’un texte soit classé parmi les « paroles de chanson » ou parmi les « poèmes mis en musique » ? Un regard diachronique croisant l’examen d’exemples actuels avec celui d’œuvres du Siècle d’Or, pour lesquelles souvent nous ne conservons que des textes qui, eux, figurent dans toutes les anthologies de poésie, et pour lesquelles nous disposons aussi de témoignages sans équivoque indiquant qu’elles étaient composées pour et diffusées par le chant, permettra d’éclairer cette question qui est au croisement de la théorie littéraire, de la politique et de la sociologie.
[1] Luis de Góngora, Sonetos completos, vol. 1, Madrid, Castalia, 1989, p. 183 sonnet no 115 (1609).
La chanson entretient avec la poésie des rapports complexes de proximité, de déni et d’envie. En effet, alors qu’une certaine critique voit dans la chanson un art bien distinct de la poésie et, souvent, mineur, les frontières entre les deux domaines sont poreuses. Quelques exemples suffiront à montrer la complexité des interpénétrations entre les deux domaines. Ainsi, Paco Ibáñez, dont le style musical pousserait à le classer parmi les cantautores, n’est que le compositeur de ses chansons et a choisi la plupart de ses textes chez des auteurs classés comme poètes et non comme paroliers (Alberti, Lorca, Góngora, Quevedo, Celaya…). Pablo Neruda a collaboré avec de nombreux compositeurs de chansons (Ángel Parra, Sergio Ortega pour Quilapayún…) pour leur fournir des textes et ces chansons ont largement contribué au rayonnement de son œuvre autant qu’à la diffusion d’un discours politique. Enfin, malgré leur grande qualité, les textes de Silvio Rodríguez font trop rarement l’objet d’analyses littéraires parce qu’ils sont considérés comme des chansons, alors qu’on peut arguer qu’ils ont eu plus d’impact sur la création littéraire ultérieure que beaucoup de poètes plus confidentiels. Bien que de nombreuses chansons présentent un méta-discours qui les désigne comme « poème » ou désigne leur auteur comme « poète », ces désignations ne sont pas prises au sérieux, pas plus que les références au chant dans les « poèmes », pour des raisons qui tiennent autant à la sociologie qu’à l’idéologie. À l’inverse, l’emploi de textes classés comme « poèmes » relève souvent d’un choix militant chez des chanteurs fortement engagés, qui conçoivent leur choix comme une forme de redistribution du capital culturel de la bourgeoisie visant à rendre accessibles au plus grand nombre des textes classiques réinsérés dans un discours politique contemporain.
Que faut-il donc pour qu’un texte soit classé parmi les « paroles de chanson » ou parmi les « poèmes mis en musique » ? Un regard diachronique croisant l’examen d’exemples actuels avec celui d’œuvres du Siècle d’Or, pour lesquelles souvent nous ne conservons que des textes qui, eux, figurent dans toutes les anthologies de poésie, et pour lesquelles nous disposons aussi de témoignages sans équivoque indiquant qu’elles étaient composées pour et diffusées par le chant, permettra d’éclairer cette question qui est au croisement de la théorie littéraire, de la politique et de la sociologie.
[1] Luis de Góngora, Sonetos completos, vol. 1, Madrid, Castalia, 1989, p. 183 sonnet no 115 (1609).
Date
Le 11 février 2019
Complément date
de 14h00 à 16h30
Localisation
Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire
Complément lieu
Salle G 203
Bâtiment Stendhal
Bâtiment Stendhal
Responsables de l'événement
Caroline Bertonèche
Anne Cayuela
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