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La littérature enfantine : une littérature de l'éveil et du sommeil

Séminaire / Recherche

Le 5 avril 2022

Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire

Quinzième séance du séminaire "Territoires et frontières en littérature de jeunesse".

Dès la naissance, la vie de l’enfant est rythmée par l’alternance de phases de sommeil et d’éveil. Berceuse, conte, lecture du soir accompagnent l’enfant vers l’endormissement. À son réveil, c’est encore la littérature qui ouvre l’enfant au monde, au savoir, aux autres et à soi : lire, c’est faire une expérience de la vie (Valérie Melin). Il n’est donc pas étonnant que les motifs du sommeil et de l’éveil structurent les récits, du sommeil de la Belle au bois dormant à l’éveil progressif du protagoniste des romans d’éducation. Pourtant, dormir, c’est prendre le risque de faire un cauchemar, qui aura peut-être été préparé par les situations effrayantes et cruelles abondamment mises en scène dans les contes. La littérature n’est pas que didactique : elle est aussi un moyen de s’évader du réel. Alors qu’on nous propose de « prendre la science en conte » (Francine Pellaud, Richard-Emmanuel Eastes, Denise Muths et Bérénice Collet) et que la porosité de la frontière entre conte et science est interrogée (Anne Defrance), la 15e séance du séminaire « Territoires et frontières en littérature de jeunesse » vous propose de vous pencher sur la littérature enfantine comme littérature de l’éveil et du sommeil.

Laurent Vercueil (Grenoble Institut Neurosciences, CHU Grenoble Alpes, UGA), « Ce qui vaut la peine d'être conté. Le Sommeil, irrégularités et régularités dans le cerveau »
 
L'une des propriétés que le cerveau humain a développé à un stade singulièrement avancé est son aptitude à déceler des régularités dans son environnement, c'est à dire à détecter des patterns lui permettant de catégoriser les objets et les comportements. Cette catégorisation est un atout crucial pour l'anticipation -une fonction clé du cerveau humain-, et permet une simplification (une réduction) du contexte dans lequel l'être humain évolue. Le récit est le produit de cette simplification, et les contes populaires l'une de ses expressions la plus ancienne et la plus robuste. Néanmoins, cette sensibilité extrême aux régularités expose l'être humain à traiter de façon plus spécifique les irrégularités : précisément ce qui va échapper au prévisible, au commun, au partagé. Du point de vue clinique, l'expérience de la pathologie est une forme d'irrégularité, particulièrement lorsqu'elle touche à la neurologie, le système qui nous met en relation avec autrui et avec le monde. Cette expérience, lorsqu'elle parait "extra-ordinaire", c'est à dire, irrégulière, suscite le récit - elle mérite d'être racontée.

Cette présentation va s'appuyer sur l'exemple du sommeil, qui joue un rôle souvent central dans les contes, ici ceux collectés par les frères Grimm, traduits, présentés et annotés par Natacha Rimasson Fertin (José Corti, 2009). Le sommeil fait partir des régularités observables, telles l'alternance jour-nuit, le cycle des saisons, etc qui ont abondamment nourri les productions culturelles depuis l'aube de l'humanité. A ce titre, le sommeil marque le retour régulier d'un état de vulnérabilité importante, défini par la réduction du "niveau de vigilance", c'est à dire la possibilité de réagir à la présence éventuelle d'une menace, tel qu'identifié dans de nombreux contes. Cette vulnérabilité récurrente constitue nécessairement une préoccupation centrale chez l'être humain encore soumis à la dangerosité d'un environnement sur lequel il n'a développé son contrôle que récemment (pour le meilleur et pour le pire).
Cependant, cette régularité peut laisser apparaitre des irrégularités remarquables : la profondeur du sommeil peut-être telle que la mort est simulée (hypersomnolence), certains peuvent parler ou bouger dans leur sommeil (parasomnies du sommeil lent), d'autres peuvent se réveiller sans pouvoir bouger (paralysie du sommeil) ou en état de confusion mentale (confusion du réveil). Les contes mettent en scène ces situations cliniques, en leur donnant souvent un pouvoir central, opérateur, dans le récit.

Enfin, le rêve cumule paradoxalement les deux propriétés événementielles : il est régulier, car accompagne (pas toujours, il est vrai) le sommeil, et irrégulier, car il expose la dormeuse ou le dormeur à une expérience inédite, souvent extraordinaire. Quelques contes font jouer au rêve le rôle d'un révélateur, soit parce qu'il indique la marche à suivre (rêve prescripteur), soit parce qu'il dévoile un fait caché (rêve de dévoilement). Nous verrons combien le "mystère du rêve", hier comme aujourd’hui, dans les contes et notre quotidien, continue de justifier le récit, c'est à dire une tentative de simplifier un réel complexe.

Simon Albertino (CESC/ILCEA4, UGA), « Dormir pour mieux grandir : le rôle narratif du sommeil dans le conte La Poule noire d'Anton Pogorelski »

La Poule noire ou le peuple souterrain est un conte littéraire russe écrit par Anton Pogorelski en 1829. Aliocha, le héros, est un petit garçon qui vit dans un pensionnat situé à Saint-Pétersbourg. Alors qu’il joue dans le poulailler de l’établissement, il sauve la vie d’une poule noire, sans se douter que la nuit-même, celle-ci viendra le réveiller dans sa chambre pour lui proposer de venir avec elle découvrir le monde merveilleux dissimulé sous le pensionnat. Ce conte, méconnu en France, place le sommeil et tout l’environnement qui en découle au cœur d’un récit rythmé entre jour et nuit, et permet de cette manière de l’associer activement à l’éveil du héros enfant.

► Pour participer à distance (lien Zoom) :
https://univ-grenoble-alpes-fr.zoom.us/j/97451490187?pwd=THcwYlVvWGowcTF2QXQzUCt3a3I5Zz09 
ID de réunion : 974 5149 0187
Code secret : 908347

Date

Le 5 avril 2022
Complément date
de 14h00 à 16h00

Localisation

Saint-Martin-d'Hères - Domaine universitaire

Complément lieu
Salle G209
Bâtiment Stendhal

Contact

Laure Thibonnier

laure.thibonnier [at] univ-grenoble-alpes.fr

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Publié le 28 mars 2022

Mis à jour le 30 mars 2022